"La Kippa bleue" : faut-il rompre avec sa famille pour se trouver soi-même ?


Dans son premier roman, "La Kippa bleue", David Allouche s’intéresse aux soubresauts de la construction de la personnalité à l'adolescence : comment se découvre-t-on ? S'émancipe-t-on ? Devient-on adulte ? Faut-il se révolter, rompre pour mieux grandir ? Des questions qui traversent l'histoire de Sasha - un jeune Juif élevé dans une famille orthodoxe - et furent celles de l'auteur.



La Kippa bleue nous plonge dans l'univers de Sasha, un jeune Juif élevé à Marseille dans une famille juive pratiquante et dont la vie - rythmée par les traditions familiales et religieuses- s’apprête à voler en éclat.

Dans quelques jours, à la veille de Kippour, "le Grand Pardon", il jettera cette kippa, devenue trop lourde, au visage de son père, et prendra sa liberté.

Partir à la rencontre de soi

Depuis longtemps déjà, Sasha entend murmurer cette petite voix, la même que celle qui, dans Souvenirs d’enfance et de jeunesse, soufflait à Ernest Renan : "Tu n'es plus catholique ; ton habit est un mensonge : quitte-le."

Comme lui, Sasha a longtemps menti, fait semblant, prié sans foi ni ferveur. Parce que dire "sa vérité", balancer sa "crise de foi", aurait été synonyme de rupture familiale.
"Comment faire face à ses parents quand on se sent différent ? 

Comme son héros, l'auteur de "La Kippa bleue" a éprouvé les conflits intérieurs et le besoin de s'émanciper des croyances familiales.
"J'ai grandi avec des parents tolérants et beaucoup plus ouverts que ceux de Sasha, explique-t-il. Ils fermaient les yeux sur mon peu de pratique religieuse, mais il y a une part de vécu. La problématique reste : comment faire face à ses parents quand on se sent différent ? C’est comme le coming out homosexuel, on a peur d'être rejeté, de décevoir. On ne comprend pas pourquoi nous ne parvenons pas à faire comme nos frères et sœurs, pourquoi ça ne marche pas avec nous !"


"Deviens ce que tu es quand tu l’auras appris"

Pour l'inspiration et le réconfort, il a les mots et la chevelure de Carla, jeune muse dont il tombe amoureux en visitant Beaubourg, "à 18h, l’heure des Parisiens et des amateurs d’art." C’est elle qui lui souffle les mots du poète grec Pindare : "Deviens ce que tu es quand tu l’auras appris."
"Se trouver est à mon avis plus important que de rester dans les clous"

"Il y a eu un peu de cela sur mon chemin aussi, reconnait David Allouche. C’est important d’être entouré, moi je me souviens d’une fille qui m'a aidé, elle était en hypokhâgne. Etre à l'écoute de soi, de ses passions, se trouver est, à mon avis, bien plus important que de rester dans les clous !" 

Dans cette escapade, cette bulle de liberté, l'adolescent fait ce qu'il aime et acquiert des certitudes : "Je ne sais pas si l'autre monde est plus intéressant que le monde juif, mais c'est l'autre que je veux."

Faire face à ses proches pour partager ce que l'on souhaite

C’est donc déterminé que le jeune Sasha regagne Marseille, comme un ultime détour avant la liberté, enfin prêt à faire face au père. "Il peut y avoir des ruptures momentanées et nécessaires avec ses parents, analyse David Allouche. Il faut évidemment tout faire pour les éviter, prendre en compte leur ouverture. Mais il me semble essentiel de pouvoir partager ce que l’on ressent, ce vers quoi on souhaite aller." 

Dans de nombreuses familles, ces divergences prennent la forme de brouilles passagères, comme dans celle de Raphaël, le cousin de Sasha, qui "n'a pas à passer par la case des adieux pour poursuivre sa route."

Dans d’autres cas, c'est la rupture. Ou parfois l'étonnement. Alors que l'on jurerait connaitre par avance la réaction de ses parents, il se peut que leur expérience, leur vécu soient source de surprises. Dans La kippa bleue, un rebondissement inattendu, la révélation d’un secret de famille prend finalement le jeune Sasha de cours. Une confession du père au fils qui, chamboule l’épilogue et résonne, contre toute attente, comme un ultime acte d'amour filial.

David Allouche : un roman sur la quête d'identité


​Trouver des relais familiaux ou amicaux

Lorsque, comme dans l’histoire de Sasha, parents et enfants semblent s'éloigner, il peut être bénéfique de s'appuyer sur d’autres membres de la famille ou de profiter de l’expérience d’autres adultes (enseignants, amis de la famille, oncles et tantes, médecins etc).

"Chez moi, mon grand-père a été d’un immense soutien, se souvient l'auteur de La kippa bleueIl m’emmenait déjeuner au restaurant une fois par semaine. Ma grand-mère m'était également d'un grand soutien. Ils ont rassuré mes parents, je me souviens qu'ils disaient à mon père : ‘les chiens ne font pas des chats ! " 

Ces "relais" permettent parfois de rétablir le contact, d'apaiser les tensions.

​Retrouver ses racines pour avancer

Alors que Sasha croit dessiner un chemin bien loin des empreintes de son père, la question du lien et de la transmission se pose avec une intensité inattendue.

"Arrête de te battre contre toi-même. Ton éducation est derrière toi aujourd'hui. Tu peux être critique si tu veux, mais les valeurs juives, tu les as déjà intégrées", se révolte son père, qui prédit avant de rendre les armes : "un jour tu comprendras la valeur de cet héritage."
Savoir d'où l'on vient pour apprendre qui l'on est


Parce qu’à 17 ans, se préoccupe-t-on de transmission et d’atavisme ? "Cela vient plus tard en effet, sourit l'auteur de La Kippa Bleue. Il est vrai qu'à la trentaine, personnellement je me suis ressaisis de ces questions. C'est en devenant père à mon tour, que je me suis interrogé sur la façon dont j'allais éduquer mon enfant. Je crois qu'il y a certains marqueurs, que c'est important de savoir d’où l'on vient." Pour apprendre qui l'on est.

Mardi 14 Mai 2019
Anne-Louise Sautreuil
Dans la même rubrique :